Madeleine Guédet
Il y a plusieurs jours que je n’ai rien écrit mais c’est que l’on dit tant de choses que j’attendais confirmation de ce que l’on disait avant d’écrire, ainsi ce que je disais précédemment de Saverne était faux, ainsi que l’entrée des Belges en Allemagne.
Ce qui est vrai, c’est que les Allemands ont occupé le Luxembourg puis sont entrés en Belgique. Les Belges leur ont opposé une grande résistance à laquelle ils ne s’attendaient pas et depuis quelques jours les empêchent de pénétrer à Liège, mais il y a beaucoup de morts, blessés, prisonniers.
Sur notre frontière de l’Est les Français ont pénétré à Altkirch vendredi soir, et samedi à Mulhouse ! C’est un bien grand encouragement pour nos armées !
Journal de Madeleine Guédet épouse de Louis Guédet, retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Louis Guédet
Mardi 11 août 1914
9h1/2 matin Je suis parti le 7 courant vendredi à 3h de Reims pour retrouver les miens à St Martin. Route longue en chemin de fer, je suis arrivé à Vitry-la-Ville vers 7h et de là à pied pour St Martin… Je suis arrêté dans Cheppes devant un barrage de voitures, il faut montrer mon sauf-conduit. A la sortie de Cheppes, au petit passage du sémaphore, vieille route, même cérémonie ainsi qu’à la barrière de St Martin. Je trouve tous les miens en bonne santé, mais sans grande nouvelle.
Les journées des 8 et 9 se passent, on pêche un peu mais le 10 au matin on nous averti qu’il faudra retirer de la Rivière la barque et la rentrer chez mon Père. Cela m’ennuie, car c’était une distraction pour mes enfants qui en sont un peu marris.
J’ai quitté St Martin à 3h pour prendre le train à Vitry-la-Ville à 4h.
Nous apprenons les combats de Liège et d’Altkirch et l’entrée des Français à Mulhouse. J’arrive à Châlons à 4h1/2 et là on m’apprend que je n’aurai pas de train avant 7h13. Je fais les 100 pas sur le quai et là je rencontre M. de Quatrebarbes, de Reims qui file à St Mihiel. Lapique m’accoste et là je bavarde avec lui, M. Raynald (ancien clerc de Duval) avocat à Paris et un avoué de Bar-le-Duc, M. (en blanc, non cité), tous trois membres du Conseil de Guerre à Châlons. Ils m’apprennent qu’ils ont vu une dizaine de Uhlans prisonniers qui paraissaient assez ahuris, tous parlent parfaitement le français, sauf un vieux territorial (landwehr sans doute), qui devait être un magistrat allemand car il ne cessait de réclamer : « Un interrogeoir !! » sans doute il demandait qu’on l’interroge et qu’on le relâche ensuite. Comptes-y : Assassin !! Vandale !
En rentrant on m’apprend que je loge un officier trésorier payeur. Je ne sais pas combien de temps je l’aurai. Je ne l’ai pas encore vu.
Tout le boulevard de la République est bondé, côté des trottoirs d’automobiles (camions) de toutes marques de tous genres depuis hier soir. Les camions automobiles sont toujours là, alignés comme pour une revue face au centre de la voie, adossés (callés) contre le trottoir depuis la Porte Mars jusqu’au Cirque.
4h35 soir Je rentre de Bazancourt où j’étais appelé par Mt Loeillot mon confrère de Boult-sur-Suippes pour une levée de scellés à l’effet de représenter des absents. Le juge de Paix de Witry-les-Reims n’étant pas arrivé, je n’ai pas quitté la gare de Bazancourt et j’ai fait les cent pas avec Loeillot en attendant mon train de retour de 3h29 (j’avais quitté Reims à 2h1/4) Là je fis connaissance d’un avoué de Paris, Mt Chain, 4, avenue de l’Opéra, qui comme capitaine, assure le service des étapes (Henri Chain, avocat à la Cour d’Appel de Paris (1865-1923)). Il s’embête à mourir en attendant impatiemment l’heure où il partira pour faire son service d’étapes du côté de Coblentz, Cologne, Mayence ou autre bonne Ville de la… noble ! de la douce !! Allemagne !! Nous avons causé de Narcisse Thomas son ex-collègue, de Parmantier gendre et successeur d’y celui.
En revenant notre train a croisé 3 ou 4 trains de troupes avec des canons : 155 long, genre grosses pièces, tous neufs.
En descendant sur le quai de la gare de Reims, comme cela m’avait intrigué, j’aborde M. Desplas notre commissaire de surveillance traction qui m’a avoué qu’on livrait une grande bataille sur la frontière. Que Dieu protège nos soldats et leur donne la victoire sans coup férir. Nous avons tous confiance, espoir. J’ai confiance !! en la Victoire !
Demain nous le dira !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
La mobilisation se poursuit très régulièrement. Chacun se plaît à reconnaître que le mécanisme compliqué de ce formidable brande-bas a été merveilleusement prévu, d’après ce qu’on peut en juger à Reims, où il ne cesse de passer des troupes de toutes catégories. L’ensemble continue à marcher sans arrêt, comme un machine bien réglée dont le déclenchement opéré le 1er août, aurait provoqué la mise en action automatiquement. Nous en sommes au 10e jour et il ne s’est produit aucun à-coup. Tout roule à souhait. Des camions, chariots, voitures automobiles, poids lourds de toute formes, dont beaucoup d’autobus parisiens, sillonnent notre ville et se rangent pour la nuit aux endroits où se trouvent d’assez grands emplacements : place d’Erlon, rue Buirette, boulevard de la République, boulevard Pommery, etc. Les chauffeurs de ces véhicules portent l’uniforme du train.
Source : Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918 - Notes et impressions d'un bombardé
Octave Forsant
Vers le 11 août, l’ilot des Belges fuyant devant l’ennemi et dévalant à travers le faubourg Cérès nous apporta une première vision de la terrible réalité. Depuis cette époque jusqu’au début de septembre, ce tableau quotidien alla toujours s’assombrissant. Après les Belges de Liège, ce furent ceux de Charleroi, puis nos malheureux compatriotes de Givet, de Mézières, de Rethel, se repliant en hâte devant un ennemi qui les chassait comme un troupeau. Et l’on assista au lamentable défilé de ces pauvres gens poussant devant eux leurs bestiaux qui traînaient, efflanqués, de vieilles charrettes grinçantes portant quelques bottes de foin sur lesquelles s’entassaient pêle-mêle les enfants, les vieillards, la batterie de cuisine, la cage aux oiseaux et les souvenirs de famille, souvent les plus futiles… Puis ce fut le repliement de notre armée. D’abord, le corps des douaniers mobilisés qui, quatre par quatre, descendaient le faubourg Cérès. Puis les dragons, les hussards et le reste de la cavalerie partie quinze jours avant avec tant d’enthousiasme, qui maintenant allait se masser en arrière de Reims, en attendant de se replier vers la Marne où, enfin, devait avoir lieu le « grand rétablissement. »
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