Est-ce la guerre ??
Par Maître Louis Guédet, notaire à Reims en 1914
Louis Guédet, fils d’Aimé Guédet et de son épouse née Aurélie Loisy, était né le 27 mai 1863 à Saint-Martin-aux-Champs, près de Vitry-le-François (51). Il est à Paris avec ses parents pendant le siège de 1870. Notaire à Reims, il fut le seul à rester à son poste pendant toute la guerre de 1914 – 1918. Il est décédé à Reims le 5 avril 1929 et enterré à Saint-Martin-aux-Champs.
Mercredi 29 Juillet 1914
10H soir Je rentre de la Chambre des Notaires où nous avions réunion pour l’examen du dossier de Maître Labitte notaire à Verzy et il me reste une impression de notre réunion durant notre dîner habituel de calme, de sérénité de confiance même… de désir de la Guerre en raison de la situation actuelle. De 7 que nous étions, 3 partiront dans les 48 heures : Chémery, Démoulin, Jolivet, eh ! mon Dieu ils parlent de leur départ éventuel… comme s’il s’agissait d’un simple rendez-vous.
Nous les vieux, (Guédet, Peltereau, Labitte, Lefebvre) nous sommes aussi calmes et tous les 7 nous sommes unanimes à dire que ce soit plutôt tout de suite que plus tard – nous avons des chances – nous gardons notre sang froid.
Je vous avoue que ceci me touche plus que toutes les manifestations, (genre juillet 1870) : on se sent, on a confiance en soi, on accepte le sacrifice sans forfanterie, on aurait cru, on croirait que nous causions et qu’il se fut agi d’une partie de chasse. Nous sommes forts puisque nous sommes calmes. Cela m’a fait du bien de nous voir, aussi unanimes, nous notaires qui nous rendons compte de toutes les conséquences de la « Guerre ».
Avant de rentrer, j’ai quitté Jolivet, Peltereau, Labitte en vieux amis. Jolivet me disant « Je vous ai donné ma procuration pour ma femme, je compte sur vous au cas où nous ne nous reverrions pas d’ici… là… à Berlin, quoi !! » – « Entendu ! » dis-je, et Labitte « Moi, j’y serai avec l’ami Guédet, quelle flûte nous boirons », et Peltereau d’ajouter « Je risquerai une crise d’estomac ! »
Je passe à la gare, la cour est noire de monde mais un calme, un calme qui était impressionnant. Tout le monde disait on sentait qu’on acceptait… le sacrifice et on disait… espoir de Paix ? ou Guerre ? Je crois qu’on préférait celle-ci (la Guerre) plutôt que celle-là (la Paix).
Oui on en a assez !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils