Louis Guédet

Dimanche 9 mars 1919

1640ème et 1638ème jours

12h 1/2  Assez beau temps plutôt froid. Messe de 8h, aperçu Minelle, Lelarge, (rayé)! Houlon avec qui je suis revenu jusqu’à la maison. Givelet arrive, et comme je lui disais que je ne pourrais pas aller à Courcy il m’a proposé de ne partir qu’à 3h1/2. Aussitôt j’ai prévenu Michaud d’avoir à m’amener Pollack avant cette heure, n’ayant qu’à causer avec lui. Ce qui me permettra de visiter ce coin de Courcy et du champ de bataille. Car peu à peu celui-ci change d’aspect.

3h 1/2 soir  Visité les emplacements de terrains à acheter pour l’établissement d’un nouvel hôtel avec M. Pollack et son gendre Jules Joseph. Nous nous sommes arrêtés à 3 emplacements.

N°1 Un terrain rues Libergier, des Fuseliers, Chanzy et la nouvelle rue à créer en prolongement de la rue Hincmar pour rejoindre la rue des Tournelles en passant sur la maison Laignier-Desmaret, n°41, actuellement M. Potoine-Laignier. C’est celui qui plait le mieux à M. Pollack.

N°2 Place d’Erlon, rue Buirette et rue de Thillois.

N°3 Place Royale, rues de l’Université, Eugène Desteuque, de la Grue et Cérès.

Que sortira-t-il de tout cela ? Quel sera mon rôle, et quelle place me donnera-t-on comme notaire ? Quels profits en aurais-je ? Aurais-je travaillé pour les autres ? Car la société qui doit être fondée par 2 ou 3 millionnaires des Paris sera certainement reçue par un notaire de Paris, alors ? J’aurais travaillé pour le roi de Prusse, comme toujours, hélas ! Le notaire de Paris voudra me supplanter même pour les acquisitions de terrains ici probablement. J’ai toujours si peu de chance !

J’attends Givelet pour aller à Courcy et Brimont, il y a 5 – 6 ans que je n’y ai été !!

9h soir  A 3h3/4 Givelet vient me prendre avec son auto, et nous filons bonne allure vers Courcy. Nous traversons La Neuvillette et tout le long de la route de Laon nous avons les tranchées françaises à gauche et à droite les tranchées allemandes, on était nez à nez. Arrivé à la hauteur de la route de St Thierry nous tournons à droite par la route de Croissy (ancien village détruit par les allemands au XVIe siècle) et nous coupons les tranchées perpendiculairement. Tout le terrain est bouleversé, sillonné de tranchées. La Fosse Cochon (ou il y avait toujours tant de lièvres) est comme une savane (Il y a maintenant une rue Fosse Cochon à Courcy). A 200m de Courcy aussitôt la descente qui mène au village, nous découvrons Courcy. Il n’en reste plus rien, quelques pans de murs, on trouve difficilement l’emplacement de l’Eglise qui a juste un reste de sa tour de 4 ou 5 mètres !! Tout est rasé, bouleversé. Nous arrivons sur la place. Quelques grilles de porte d’entrées de maisons nous permettent de nous orienter. Je découvre sur cette place le calvaire en pierre du XVIIe siècle qui subsiste, mais n’a plus sa croix de fer qui la surmontait, il reste le fût de la colonne et c’est tout ! De l’auberge de Jacquot (Louis Jacquot, qui décèdera à Courcy (1861-1942) où nous déjeunions si joyeusement à nos chasses de Courcy, 2 pans de murs !! Que de souvenirs nous évoquons avec Givelet, que de noms d’amis la plupart disparus, Mareschal, Français, de Granrut, Henri et Lucien de Tassigny (Henri est décédé de la grippe espagnole le 9 janvier 1919 à Reims), Minelle, Benoist, Adolphe Charbonneaux, Girard, etc… etc… La place de Courcy n’existe plus, c’est un désert chaotique qui n’entendra plus les ronflements des moteurs d’automobiles, les aboiements des chiens, les joyeux propos et dires de tous ces amis ! Courcy est mort !!

Nous cherchons à travers ces ruines le chemin qui conduit au château des de Vroïl. Pauvre Rocquincourt !! Il n’en reste rien qu’un amas de décombres et de bois fracassés, juste 2 fenêtres de la salle à manger à gauche et c’est tout. Du pigeonnier nord à droite de la pelouse d’honneur transformée par M. de Vroïl en bibliothèque, rien qu’un tas de moellons et 5 mètres en demi-lune du bas-œuvre, le parc est sillonné de tranchées, bouleversé de trous d’obus. Les tilleuls centenaires sont des squelettes, l’un d’eux à l’aile gauche vers le nord qui était un des plus beaux git là fracassé ! Au milieu de la pelouse, derrière le corps de logis des tranchées et des abris bétonnés pour des canons ! Dans cette pelouse 16 tombes françaises et 16 allemandes, qu’on distingue à peine !

Pauvre Rocquincourt ! adieu mes douces rêveries de jeunesse sous ces tilleuls centenaires si odorants sous l’ombrage desquels je rêvais mes projets d’avenir en 1887 – 88 – 89 – 1890 – 1891, quand je venais comme clerc de mon Patron M. Douce (Paul Douce, notaire de 1870 à 1909 (1844-1913)), faire des adjudications de récoltes sur place pour le père de M. Alban de Vroïl, et où je faisais signer mes délivrances de ventes de chaque parcelle sur le dos du Père Hiblot, un vieux bossu (maréchal-ferrant de son métier), qui voulait bien me donner son dos comme pupitre !!

Cher passé ! Tout cela est fini.

Nous quittons Rocquincourt en franchissant le mur de clôture près de l’orangerie par une brèche, et nous coupons à travers la route qui conduit au canal à travers champs, ou plutôt à travers tranchées pour atteindre la verrerie de Courcy, dont Givelet était le directeur. Nous traversons le canal qui n’est plus qu’une immense tranchée près du port, et nous sommes dans la Verrerie où dans une roulotte logent un de ses gardiens, le 2ème est dans un gourbi Boche !!

Décrire l’aspect de la verrerie c’est impossible. C’est un chaos et une succession de trous d’obus ! on ne peut marcher que sur les lèvres de ces trous, comme si on était dans un glacier ! De tout cela émerge des débris de ferrailles, de démolitions, des tas de bouteilles à demi-encerclées. Pour trouver trace de certains corps de bâtiments et notamment de sa maison d’habitation nous sommes obligés de tâtonner et de nous orienter à l’aveuglette !! Je n’ai encore rien vu de semblable comme pilonnage ! Je ramène quelques souvenirs et nous prenons le chemin du retour.

Avant je jette un coup d’œil sur le château de Brimont qui est rasé, le bois de Brimont est à l’état de squelette, et le Cran de la batterie de Loivre qui n’est plus qu’un chaos de craie !

Nous partons à pied par le même chemin, et l’auto nous dépasse et en allant à travers tranchées nous remarquons un tas de choses abandonnées, obus, masques, armements, équipements, trépieds de mitrailleuses, une chaise de jardin en fer de Rocquincourt, et…  un avant-bras humain avec sa main, etc…  un vrai champ de Bataille !! Et il nous faut faire attention de ne pas heurter des obus ou des grenades au risque de nous faire sauter…

A la sortie de Courcy proche le Moulin à vent, qui n’existe plus du reste !! nous montons en voiture…  à 300 mètres de là, à mi-côte, Crac ! Arrêt ! Nous descendons, le changement de vitesse est démantibulé, il nous faut donc prendre nos jambes à notre cou et regagner Reims à pied, et…  par la pluie !! Le chauffeur laisse sa voiture et retourne à la verrerie coucher dans la roulotte, et demain il aura plus clair pour réparer sa voiture ! Retour lugubre au milieu de ces ruines et tranchées. Nous arrivons à Reims à 9h. Je dîne d’un peu de jambon et je m’attelle à ces mots. Je suis assez fourbu. Mais je tiens à jeter ces lignes avant de me coucher.

Pour les étrangers ce coin de Courcy est à voir, avec la verrerie et la Gare de Courcy, tout de suite on a une idée du champ de Bataille dans tous ses bouleversements, comme à Verdun. Certainement je montrerai cela à mes enfants André, Marie-Louise et Maurice, tout de suite ils auront une notion exacte de tout notre front de bataille.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Édouard Benès

Dimanche 9 – Visite de la Cathédrale avec Mesdames de Polignac. Visite du Président de Tchécoslovaquie, M. Benès(1) promet de m’envoyer la Croix de Guerre Tchécoslovaque.

(1) Édouard Benès (1884-1948). Professeur tchèque passé du côté des Alliers en 1915, il devient secrétaire général du Conseil national tchécoslovaque, devenu gouvernement provisoire en 1918. Il représente la Tchécoslovaquie à la Conférence de la Paix.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Dimanche 9 mars

Le Conseil suprême de guerre s’est réuni. La réunion a été saisie du fait de l’interruption des négociations de Spa, relatives à la livraison de la flotte allemande, et d’une proposition de M. Lansing, au sujet des câbles allemands.
A la demande de la délégation italienne, la nomination d’une commission militaire interalliée d’enquête, sur les incidents de Laybach, a été décidée. La discussion au sujet du ravitaillement des pays de l’ancienne Autriche-Hongrie a été ensuite continuée et terminée.
M. Lloyd George a entretenu le conseil des conditions militaires des préliminaires de paix avec l’Allemagne.
L’incident de Spa s’est produit parce que l’Allemagne refusait de livrer sa flotte marchande, contrairement aux termes de l’armistice de janvier, si on ne lui garantissait pas la fourniture de 3.200.000 tonnes de denrées alimentaires avant l’été. Les délégués français et allemands sont retournés, les uns à Paris, les autres à Berlin, pour demander des instructions complémentaires.
M. Lloyd George a opposé au projet du maréchal Foch et des autres experts militaires limitant l’armée allemande à 200.000 hommes un autre texte qui substituerait à la circonscription le volontariat.
Les combats de rue, se poursuivent à Berlin. Le gouvernement d’Ebert se dit maître du centre de la ville, mais les spartaciens résistent dans les faubourgs.
Un nouveau cabinet turc, purement ententophile, s’est constitué.
Deux des leaders de la révolution russe, Tcheitze et Tserefelli, sont arrivés à Paris.
Le débat financier s’est ouvert à la Chambre. Les orateurs ont été unanimes à dire que l’Allemagne devrait payer tout ce qu’elle pourrait donner.
Une élection symptomatique a eu lieu aux États-Unis. Un partisan de M. Wilson a remplacé un républicain hostile à la conception présidentielle de la ligue des nations.

Source : La Grande Guerre au jour le jour