Louis Guédet

Samedi 10 février 1917

882ème et 880ème jours de bataille et de bombardement

6h1/2 soir  Toujours grand froid avec un beau soleil. On souffre tout de même et on voudrait bien que ce fut fini. Caisse d’Épargne ce matin, peu de monde. Après-midi sorti pour aller jusqu’aux caves Charles Heidsieck, 46, rue de la Justice, vu Braudel (à vérifier), toujours aussi convaincu de son importance, cet homme n’a jamais pu changer sa manière Boche !! Fondé de pouvoir, dans les caves où les bureaux sont parfaitement organisés. Rentré par un soleil splendide. Le cœur serré, comme toujours, et puis je n’ai goût à rien. Je me suis forcé à écrire mon courrier mais sans goût et avec lassitude.

Il y a 17 500 habitants, peut-être un peu plus à Reims. Je croyais qu’il n’y en avait que 15 000, mais il a été demandé plus de 17 500 cartes de sucre…  et…  Voilà ma journée et tout ce que j’ai appris…  Peu ou pas de canon.

J’ai été gelé hier dans mon cabinet au Palais de Justice, à tous vents. J’ai demandé à Touyard le concierge du Palais de me faire mettre du papier aux fenêtres afin qu’on gèle moins, juges, greffiers et justiciables. Je tiens mes séances dans mon cabinet, portes ouvertes sur la pièce donnant sur la rue Tronsson-Ducoudray. De même pour les audiences de simple police, la grande salle étant glaciale…  Bref on gèle, et je lis dans l’Écho de Paris que les juges se plaignent d’avoir froid dans leurs salles chauffées, je voudrais bien les voir ici dans mon Palais !! sans carreau ni fenêtre. Comme la maison de Cadet Rousselle (d’après les paroles d’une chanson populaire datant de 1792).

9h soir  J’ai froid. Je n’ai pas sommeil et ne peut me décider à me coucher. Je rêve, somnole près de mon poêle, mon esprit erre à un tas de souvenirs qui me font souffrir. Cet état est bien pénible. Je suis comme extériorisé. Je vais, je viens, j’écris plus comme si je n’existais pas, sans savoir bien, c’est comme un engourdissement. Après trente mois de ma vie, cela se conçoit un peu, je n’ai plus de vie humaine. C’est une vie de paria, de bête traquée, de machine. Une vie de veilleuse qui s’éteint. Mon Dieu ! c’est peut-être là la mort la plus douce !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Samedi 10 – Nuit tranquille. – 8°. Visite de trois officiers : Colonel M, Colonel Nieger, un Lieutenant-Colonel qui était à La Neuvillette quand les Parlementaires allemands s’y sont présentés (3 Septembre 1914), 1 Capitaine.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Samedi 10 février

Dans la région à l’est de Reims, nous avons réussi un coup de main et ramené des prisonniers.

Nos batteries ont exécuté des tirs efficaces sur les organisations ennemies du secteur de la cote 304. Un dépôt de munitions a explosé. Canonnade intermittente sur le reste du front.

Un de nos pilotes a abattu un avion allemand près de Cerny-les-Bucy (Aisne). Nos avions de bombardement ont lancé des projectiles sur les usines militaires et la gare de Bernsdorf, ainsi que sur la gare de Fribourg-en-Brisgau (grand-duché de Bade).

Canonnade sur le front belge, spécialement au sud de Nieuport.

Les Anglais ont exécuté des coups de main heureux à l’est de Vermelles et au sud-est d’Ypres. Un grand nombre d’abris ont été détruits et des prisonniers ont été faits.

Les Allemands, après un violent bombardement, ont tenté d’aborder les lignes britanniques, au sud d’Armentières. Ils ont été décimés et rejetés. 37 prisonniers ont été faits, dont 2 officiers. Nos tirs de contre-batteries ont provoqué deux explosions dans les lignes allemandes. Un groupe de travailleurs a été dispersé par le feu britannique, vers la butte de Warlencourt.

La Republique Argentine a remis à l’Allemagne une note de protestation énergique contre le blocus.

La Suède a décliné la proposition de M. Wilson tendant à instituer une action collective des neutres contre la guerre sous-marine.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Cerny-les-Bucy