Louis Guédet

Lundi 5 avril 1915  lundi de Pâques

205ème et 203ème jours de bataille et de bombardement

5h1/2 soir  Journée passable, moins de pluie. Le temps va-t-il se remettre au beau ? Le canon retonne cet après-midi. Je ne suis pas sorti, sauf pour porter une lettre à la Poste (Galeries Rémoises) pour ma pauvre femme qui est toujours hésitante pour aller à St Martin. Reçu un mot de Jean qui se trouve mieux. Je suis toujours aussi triste et aussi découragé. Du reste quelle situation !! misérable de martyr ! Reverrai-je les miens ? Nous retrouverons-nous réunis tous un jour sous le même toit ? Je n’ose y penser ni l’espérer.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dans Le Courrier de la Champagne, on lit aujourd’hui cet article :

Reims-la-morte

On peut certes, appliquer à notre pauvre ville, cette qualification réservée jusqu’ici à Bruges, aux béguinages discrets se mirant sur les canaux silencieux.

Le promeneur solitaire qui, le soir au coucher de soleil, erre sur nos promenades ou boulevards déserts est frappé du grand calme qui plane sur la cité. Le moindre bruit se répercute avec une intensité étonnante ; on perçoit nettement les coups de fusil isolés qui se tirent sur le front à quelques kilomètres de là, dominés parfois par le coup de départ d’un canon, immédiatement suivi du sifflement strident de l’obus qui vient éclater avec fracas sur nos demeures et éveille, pour un instant les échos assoupis.

Quelle différence avec l’animation de ces quartiers les années précédentes à la même époque ! Baraques foraines, tirs et chevaux de bois, dressés sur nos places et boulevards, faisaient retentir les environs du bruit de leurs parades et de leurs musiques assourdissantes, attirant la foule toujours renouvelée, cependant que la foire à la porcelaine étalait, sans danger, dans les promenades, ses fragiles produits pour le plus grand profit des ménagères.

Dans les usines, toutes éventrées par les obus, les feux sont éteints et les métiers, au claquement bruyant, ne battent plus. Fabricants et négociants, lassés d’une situation qui se prolonge, ont fait enlever leurs marchandises et tenté », de dehors de Reims, d’entretenir des relations commerciales auxquelles une si longue interruption pourrait porter un coup fatal.

La foule est partie, disséminée dans toute la France ; les maisons sont désertes, les volets clos. La vie semble avoir abandonné ces quartiers de la ville mais le cœur est intact et, vienne la délivrance, avec le concours d’une municipalité en majeure partie demeurée à son poste, les habitants accourront bien vite vers leurs logis et rendront à notre cité son ancienne splendeur.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Lundi 5 – Nuit tranquille ; canonnade violente pendant la journée de notre côté du moins.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 5 avril

Nos progrés ont continué en Woëvre. Nons avons enlevé le village de Régniéville, à 2 kilomètres et demi à l’ouest de Fay-en-Haye, déjà enlevé le 1er avril.
L’offensive russe est toujours couronnée de succès dans les Carpates. Les progrès de nos alliés se confirment spécialement dans la région d’Usjok. Ils ont capturé 100 officiers et 7000 hommes, ce qui atteste la désagrégation et la démoralisation de l’armée autrichienne. Le général Alexeief remplace au commandement des armées du nord-ouest le général Rousski.
Des voyageurs arrivés d’Autriche en Italie, racontent que des révoltes ont éclaté à Vienne, à Prague et à Brünn et que des barricades y ont été dressées. La population n’a plus de quoi manger et les enfants meurent en masse faute de lait.
L’incident serbo-bulgare serait réglé : la Bulgarie aurait désavoué les comitadjis et promis de les châtier. Il est avéré, d’autre part, que des Turcs s’étaient glissés parmi les bandes qui ont attaqué Valandovo et la gare de Stroumitza.
Le croiseur turc Medjidieh, de 3500 tonnes, a heurté une mine et a coulé.
L’Italie poursuit ses préparatifs militaires. Le gouvernement a créé la charge de sous-chef de l’état-major général et constitué une catégorie de capitaines en premier. Mais les ministres sont partis en vacances. M. Salandra est à Sorrente. On dit que les décisions diplomatiques sont désormais prises.
Des taubes ont survolé Saint-Dié, les environs de Chalons-sur-Marne et Clermont-en-Argonne.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

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