Abbé Rémi Thinot

14 DECEMBRE – dimanche –

M. le Curé a parlé admirablement ce matin ; à la messe de 10 heures, A propos de l’Immaculée Conception, il a parlé de la profanation de sa demeure ; Notre-Dame ; il a raconté les bombardements et l’incendie de la cathédrale, là où la Ste Vierge est deux fois chez elle. Il a évoqué le souvenir des coups qui « flagellaient » la Basilique, des « gueules d’enfer » qui crachaient, des monstres qui polluaient la Raison de Dieu… Les détails ; les blessés allemands transportés sur civières, le quartier de cheval apporté à 1 heure et cuit le soir seulement, la poussée des malheureux dans l’escalier de la tour Nord où le moindre mouvement dans l’entassement des membres provoquaient des cris de douleur.

Le lendemain de l’incendie ; ces portes porches ouverts par où s’engouffraient dans le lieu saint « les vulgarités de la rue » ; ces fenêtres vidées par où s’étaient envolés les derniers parfums d’encens, ces odeurs de bois brûlés, des chairs calcinées… ces cadavres tordus, avec l’écume aux lèvres, ces débris de toute sorte qui humiliaient le sanctuaire ; autour de la chaire, couvertures, casseroles, vases de nuit…

En péroraison, une prière à la Ste Vierge pour qu’elle humilie l’orgueil des ennemis, accueille notre tristesse et notre révolte comme une louange… qu’elle nous obtienne bientôt la paix.

Ce soir, la pluie tombe. Je viens de reconduire Louis Midoc. Les rues sont horriblement noires. Dans l’Université, c’est à croire que, pour masquer l’éclairage, on a fermé les persiennes ; la lumière est provocante encore. Abomination ! C’est le ciel qui s’étale au travers des membres des squelettes. Les persiennes grincent ; des débris se précipitent et tombent en sonnant… Partout les solitudes, le silence et la nuit.

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Lundi 14 décembre 1914

93ème et 91ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Calme, sauf nos grosses pièces qui nous ont assez assourdis. Journée quelconque. Prévenu tout le monde, mes préparatifs pour jeudi matin sont à peu près finis. Que mon voyage s’accomplisse bien et qu’il n’arrive rien à la maison ici durant mon absence. Je crois que Dieu ne peut me refuser cela. Et qu’à Paris je trouve mon Monde bien portant et que j’ai bon espoir que mon pauvre Jean ne sera pas pris à la révision (le conseil de révision vérifie les aptitudes physiques des conscrits en vue de leur éventuelle incorporation) parce que trop faible. C’est déjà assez que j’ai payé pour tout le monde. La Providence ne peut pas m’imposer cette nouvelle épreuve, car c’est bien au tour des autres.

Le bas de page du feuillet a été découpé.

dure et ferme. C’est leur…  les deux lignes suivantes ont été rayées.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Lundi 14 – Nuit tranquille ; un grosse bombe à 5 h du matin, un peu loin. Visite aux Conscrits (1), 14 rue Cazin.

Réflecteurs (2) promenés sur la ville à 10 1/2 du soir. Coups de canon, bombes, réflecteur item 6 h du matin du mardi

 Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

(1) Il s’agit vraisemblablement des jeunes gens de la classe 1915 qui sont appelés sous les drapeaux.

(2) L’éclairage nocturne du champ de bataille avec des projecteurs ou même des projectiles éclairants à parachute fut pratiqué pendant les deux guerre mondiales, de façon épisodique et peu efficace ; par contre il fuit vite généralisé contre les raids aériens nocturnes.


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Eugène Chausson

14/12 Lundi – Mauvais temps, grand vent et comme hier, canonnade et bombes de temps en temps pour ne pas que les Allemands en perdent l’habitude. Nuit calme

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy


Lundi 14 décembre

Journée relativement calme, sauf aux alentours d’Ypres, où trois attaques d’infanterie allemandes ont été repoussées; à Senones, où l’ennemi a été également refoulé, et à Aspach (Haute-Alsace) où il a vainement esquissé une tentative sur la gare.
Les Serbes ont poursuivi leur beau succès.
Après avoir forcé l’armée austro-hongroise à se diviser en deux tronçons, ils ont rejeté l’un, celui du Nord, dans la direction de Chabatz, en occupant Kamenitsa ; l’autre a repassé la Drina et a rentré en Bosnie. De ce côté, les forces serbes ont repris les localités frontières de Rogatitsa et de Baïna-Basta. Elles vont à nouveau pénétrer sur le sol austro-hongrois où les Monténégrins les ont précédés en se saisissant de la ville bosniaque de Visegrad.
L’ambassadeur de Turquie à Rome a déclaré au ministre des Affaires étrangères, M. Sonnino, que la Porte lui donnerait une réparation au sujet de l’incident d’Hodeïdah et qu’elle désirait entretenir de bons rapports avec la Péninsule. Mais le ton très décidé dont a usé M.Sonnino pour exposé l’affaire à la Chambre a frappé tout le monde et en Italie et au dehors.
Le ministre du Commerce de Prusse a fait afficher dans tous les lieux publics du royaume une proclamation pour engager les Prussiens à se montrer ménagers du pain, des pommes de terre et de tous les aliments. Ce document atteste que la disette se fait sentir durement outre-Rhin. Par ailleurs les journalistes italiens qui reviennent de Berlin déclarent que les milieux dirigeants ne dissimulent point leur inquiétude.
Le maréchal von der Goltz est arrivé à Constantinople après s’être arrêté quelques temps à Sofia. Ayant réorganisé jadis l’armée turque, il est de nouveau chargé d’une mission auprès d’elle, avec des pouvoirs très étendus, ceux d’un vice-roi, paraît-il.
Les relations s’améliorent entre la Grèce la Bulgarie. Elles ont décidé de nommer une commission mixte qui examinerait les conflits survenus où à survenir et leur chercherait des solutions amiables.
La Russie dote la Galicie d’une organisation complète. La province est d’ailleurs presque totalement occupée par ses troupes.
Le Goeben, le croiseur allemand au service de la Turquie a tiré quelques coups de canon devant le port russe de Batoum dans la mer Noire. Mais cette canonnade est demeurée inefficace, et le Goeben, bombardé par les forts a dû prendre la fuite.
Les dommages que l’armée allemande a causés à la Belgique sont estimés à 5312 millions. Dans ce chiffre colossal les dégâts de Liège s’inscrivent pour 173 millions; ceux de Louvain pour 185; ceux de Charleroi pour 515; ceux des districts ruraux pour 1418; ceux d’Anvers pour 505; ceux subis par l’État (chemins de fer, routes, etc.) pour 1200, et ceux provoqués par l’interruption du commerce pour un milliard.

Source : La grande Guerre au jour le jour