Abbé Rémi Thinot

30 NOVEMBRE – lundi –

Je suis rentré de Bétheny… Il reste une cinquantaine d’habitants, mais le pays presque entier n’est plus composé que de murailles écroulées, pantelantes, d’amas de décombres. Là, 5 vaches achèvent de mourir dans ce qui fut une étable ; ailleurs, des amas innombrables répandent une odeur nauséabonde. L’église? Quelle ruine ! Les murailles, les voûtes sont percées, des chapelles entières écroulées. Le toit ? Un tas de bois confus et il y a là-haut des observateurs en grande cagoule grise qui, très courageusement, malgré la pluie d’obus qui souvent les arrose, dominent la plaine et dirigent le tir. Je monte ; Je me glisse prudemment pour faire quelques photographies.

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Paul Hess

Nuit calme.

A 7 heures, ce matin, départ à Bezannes de ma femme et des enfants. Par le CBR, ils gagneront Bouleuse et Dormans, pour revenir à Épernay par la ligne de l’Est. Éloignement qui s’est imposé par un impérieux besoin de calme pour toute la petite famille, et surtout devenu nécessaire et prudent en raison de la permanence du danger à Reims, où tous nos espoirs tenaces en la libération ont été et sont peut-être susceptibles encore d’être trop déçus.

Quoique la séparation nous coûte beaucoup à tous, car je dois rester à mon poste, j’éprouve un réel soulagement à voir les miens s’éloigner et échapper ainsi à la vie infernale qu’il faut mener dans notre ville ; à les savoir désormais en sécurité.

– Dès ce jour , je décide de mettre à profit l’offre aimable qui nous avait été faite après l’incendie du 19 septembre, où nous nous étions trouvés non seulement démunis de tout, mais sans mobilier et sans habitation.

Par l’intermédiaire d’un de leurs fils, M. l’abbé Marc Ricard, aumônier de l’école des Arts et de l’école Saint J.-B de la Salle, Mme Ricard et M. Ricard, ancien officier de cavalerie légère démissionnaire et lieutenant-colonel du services des Étapes, non appelé à la mobilisation, en raison de son âge, avaient mis très obligeamment et de la manière la plus délicate à la disposition de ma famille, une partie de la maison qui leur avait été louée rue bonhomme, 8, où ils demeuraient ; se réservant le rez-de-chaussée et le premier étage, ils nous avaient fait proposer de nous installer au second. Quelques jours après la destruction de notre quartier et l’incendie de la cathédrale, M., Mme Ricard et M. l’abbé s’étaient brusquement décidés à quitter Reims pour aller à Beauvais où ils possédaient une propriété de famille, sans que nous ayant donné suite à leur fort intéressante suggestion, puisque nous avions trouvé immédiatement le gîte chez mon beau-père, rue du Jard 57.

J’étais resté en relations, par correspondance, avec M. et Mme Ricard et je me savais autorisé à occuper leur maison, en cours de bail à Reims, quand il me plairait. Je savais, en outre, qu’au cas où je jugerais à propos d’aller m’y abriter ou y loger, j’y trouverais leur cuisinière, Mme Vve Martinet, bonne vieille personne des plus dévouées pour ses maîtres, qui demeurait rue du faubourg Cérès 71 et avait, depuis leur départ, pour consigne de venir chaque jour, si possible, rue Bonhomme, s’occuper à l’entretien de la maison en état de propreté, au nettoyage des meubles, à l’astiquage des ustensiles, etc.

Le bombardement, avec ses lubies, me paraissant moins fréquent qu’ailleurs de ce côté de la ville, actuellement du moins, je me rends donc sans attendre, rue Bonhomme 8. Mme Martinet avait reçu des instructions très précises, dans l’éventualité de mon arrivée.

Cette brave Mme Martinet mot tout son empressement à m’aider pour l’installation d’un lit-cage en un endroit que je choisis dans la salle à manger, face à un grand vitrage donnant sur le jardin. Elle m’explique qu’elle vient chaque matin vers 7 h, qu’elle me préparera mes repas, qu’elle déjeunera elle-même à la maison vers midi et qu’elle continuera à s’en retourner, chaque soir, chez elle à 18 heures.

Mon emménagement étant effectué, puisque j’ai apporté un petit sac à main et une musette contenant tout ce que je possède : un peu de linge etc., il est entendu, sans plus de formalités que j’élis domicile aujourd’hui, rue Bonhomme 8, que j’y prendra mes repas et qu’à partir de ce soir. J’y viendrai passer les nuits.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

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Cardinal Luçon

Lundi 30 – 2 heures du matin (2 h 45) bombes. Écrit au Cardinal Gasparri et envoyé vues photographiques de la Cathédrale. Nuit tranquille.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Eugène Chausson

30/11/14 – Lundi. Temps couvert on découvre de très loin, sans pluie cependant. Toute la journée canonnades et bombardements. Un homme tiré rue de Betheny parait-il. Comme hier violente canonnade vers Berry-au-Bac ; à 5 h 15, le calme parait un peu rétabli, mais il ne faudrait cependant pas se réjouir de trop car la situation est vite changée.

Toujours violente canonnade vers Berry-au-Bac à une heure très avancée de la nuit.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy


Juliette Breyer

Lundi 30 Novembre 1914. Encore une nouvelle que je serais heureuse de t’appendre si je savais où tu es. Je ne me rappelle pas si je t’ai dit que Gaston était au dépôt de son régiment à Vannes. Il devait y rester jusqu’à la fin de la guerre, mais il vient d’être réformé. Il voulait nous faire la surprise de revenir sans prévenir, mais Georges Langlet l’avait écrit à ses parents, et eux l’avaient dit chez vous. Donc hier j’étais à causer dans le couloir des tunnels et André s’amusait à courir quand tout à coup j’entends dire : « Eh bien, mon coco, on ne vient pas dire bonjour à parrain ? ». C’était Gaston. Comme il était venu par Bezannes, en passant et sachant que j’étais chez Pommery, il était venu me dire bonjour. Maman en le voyant s’est mise à pleurer. Elle pensait à ses deux garçons, comme elle dit. Mais Gaston tache de nous rendre un peu de courage.

Enfin il nous quitte et je le conduis à ton parrain dans son bureau. Ils repartent tous les deux. Je l’ai revu aujourd’hui. Il n’est pas décidé à rester à Reims. Il a entendu les boches qui nous bombardaient et il nous assure qu’il a plus peur là que sur le champ de bataille. Si comme nous il était là depuis trois mois ! Il se demande comment nous avons pu rester.

Mais encore une fois je te quitte, et toujours sans nouvelles. Ta petite femme, quoi qu’il arrive.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Victime civile de ce jour à Reims

  • DÉMÉTRIUS Marie Julie   – 67 ans, 53 rue Simon, domiciliée 88 rue de Chanzy à Reims