Juliette Maldan

Samedi 29 août 1914

Pour la première fois, le grondement du canon parvient jusqu’à nous… Il est encore sourd et lointain, mais très perceptible. Anxieux, on écoute, le cœur serré, ce son lugubre. La guerre vient sur nous… En dépit du laconisme des journaux, et de l’incertitude des nouvelles qui nous arrivent, et de plus en plus se font contradictoires, il convient de ne plus se faire d’illusions. Il faut être prête à tout.

Ce soir-là, j’apprends de source sûre que le gouverneur militaire a l’intention de défendre la ville, autant qu’elle peut être défendue. Les forts doivent donner. On veut gagner du temps et retarder à tout prix l’ennemi dans sa marche sur Paris.

Reims, s’il le faut, sera donc sacrifié.

Journal de Juliette Maldan, grand-tante de François-Xavier Guédet, retranscrit par lui-même.

Paul Hess

Lorsque j’arrive au bureau, vers 7 h 3/4, l’un des employés, Lépine, me demande :

« Avez-vous entendu le canon ? »

Oui, en effet, au cours de la nuit, j’avais distinctement perçu des détonations sourdes très fréquentes, sur la nature desquelles il n’y avait pas à se tromper.

– Des différentes parts, surtout par les émigrants des Ardennes, on apprend qu’une sérieuse action est engagée au-delà de Rethel, vers Novion-Porcien et Signy-l’Abbaye.

Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918

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Marcel Morenco

Reims, samedi 29 août 1914 En compagnie d’un ami, M. Cardon, j’essaie de rentrer à Charleville. Nous partons de Reims à 1 heure du matin par chemin de fer pour Tagnon où nous arrivons à 4 heures.

De Tagnon, nous voyageons à bicyclette en remontant (spectacle inoubliable) la population de Rethel qui fuit devant les Allemands. Nous traversons Rethel inhabité mais nous n’allons pas au delà car nous entendons une canonnade endiablée (on se bat à Signy l’Abbaye, à Noiron- Porcien, à Launois, à Amagne… ) la route est barrée par l’armée française.

Nous faisons un détour et nous essayons de passer sur la droite par Attigny en suivant les convois militaires. Avec beaucoup de difficultés, nous arrivons à 14 heures à Poix (15 Km de Charleville) en passant par Attigny, Tourteron, Charbogne, et nous sommes arrêtés par l’avant -garde française et immobilisés. Il faut rebrousser chemin à pied (à cause de l’encombrement) jusqu’à Attigny où nous arrivons exténués à 22 heures. Le village est encombré de soldats. Après avoir vainement cherché à acheter un morceau de pain, nous soupons avec quelques ronds de saucisson des gaufrettes et un verre d’eau et, les soldats occupant tous les locaux, écuries et remises comprises, nous couchons dans la rue, sans paille, sans couverture, par une nuit glaciale.

Marcel Marenco
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 Juliette Breyer

Mon pauvre Lou,

J’ai su qu’hier tu étais passé à Reims et impossible de te voir. J’aurais été si heureuse. Figure toi que je l’ai su presque aussitôt. Tu te rappelles M. Thierry qui habitait près de chez nous et qui est parti à Lorient ? Eh bien il est venu hier matin me dire bonjour et comme je lui disais que tu étais au 354e, il m’a répondu que le régiment venait de passer en gare de Reims. A peine si je voulais le croire. Mais cette fois quand un camionneur est venu me l’affirmer – puisque tu avais fait une course rue de Courcelles – je n’ai plus eu de doute. Et tu penses si l’après-midi je me suis empressée d’y courir. Et la dame du comptoir m’a certifié que tu étais en bonne santé. Et chose encore plus certaine : aujourd’hui j’ai reçu ta carte.

Etre si près et ne pouvoir se voir. Il faut tout de même que je reprenne courage car mon pauvre Charles, tu es bien plus malheureux que moi. Ton petit coco, vois-tu, pense toujours à toi ; il veut « écrire » à papa.

Enfin je te quitte et je t’envoie tout mon cœur.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Samedi 29 août

La progression de nos forces s’accentue en Lorraine -nous sommes maîtres de la ligne de la Mortagne.
Sur la Meuse, aucun combat ne s’est produit.
Violente action, mais sans résultat décisif, dans la région Lannoy, Signy-l’Abbaye, Novion-Porcien, etc. Ici l’attaque sera à reprendre.
A l’aile gauche, grande bataille, où quatre de nos corps ont été engagés. Succès à la droite, où le 10e corps allemand et la garde prussienne, décimée une fois de plus, ont été repoussés.
Mais repliement à la gauche, les forces allemandes progressent ici dans la direction de la Fère.
Le général Pau, qui est venu conférer avec M. Millerand, à Paris, est reparti pour le front.
L’armée russe a remporté de nouveaux avantages sur les débris des corps allemands qui s’étaient repliés de Gumbinnen et qui avaient reçu de nouvelles troupes. Elle occupe Allenstein et investit Königsberg. En Galicie, se déploie une grande bataille austro-russe, qui met un million d’hommes aux prises et qui doit durer plusieurs jours.
Un Zeppelin a été abattu en Pologne russe.
Le bombardement de Kiao-Tchéou se poursuit.
Le gouverneur militaire de Paris, le général Gallieni, a ordonné de démolir les immeubles édifiés dans la zone des forts anciens et nouveaux.

Source : La Grande Guerre au jour le jour